« Avec la réforme du divorce, l’audience de conciliation est supprimée »

Entretien avec Dominique Santourian, juge aux affaires familiales au tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse (Ain).
Au fur et à mesure des dernières réformes du divorce, le législateur a réaffirmé sa volonté constante de pacifier la séparation des époux, de diminuer la durée de la procédure et de déjudiciariser, lorsque cela était possible, une partie de ce contentieux. Explications

31 mai 2022

Depuis quelle date cette réforme est-elle entrée en vigueur ?

Dominique Santourian : La réforme du divorce est issue de la loi de programmation et de réforme de la justice du 23 mars 2019. Elle devait initialement entrer en vigueur au 1er septembre 2020. Faute d’outils informatiques adaptés au nouveau cadre procédural, la date d’application de la mesure a été reportée au 1er janvier 2021. Par ailleurs, la nouvelle législation ne concerne que les requêtes déposées à partir du 1er janvier 2021. Pour les demandes antérieures, l’ancienne procédure est toujours applicable.
Nous sommes donc obligés de gérer actuellement, durant cette phase transitoire, deux types d’audience, ce qui génère un surcroît de travail pour le greffe et les juges aux affaires familiales alors que nous sommes déjà en pénurie d’effectifs. Enfin, l’outil informatique est toujours en cours d’adaptation.

Les cas de divorce sont-ils modifiés ?

D.S. : Non, la réforme est avant tout procédurale. Les quatre cas de divorce demeurent inchangés. En effet, il existe toujours le divorce par consentement mutuel, qui est réglé à l’amiable entre les époux. En principe, le juge aux affaires familiales n’intervient plus dans ce type de divorce depuis la réforme de 2017, sauf si l’un des enfants mineurs du couple demande à être auditionné. Avec ce divorce à l’amiable, les époux sont d’accord sur le divorce et ses effets. Une convention matérialisant leur accord est alors établie. Puis elle est signée par les époux et leurs avocats respectifs. La convention est ensuite déposée chez un notaire, afin d’être opposable aux tiers, puis retranscrite à l’état civil.
À côté de ce divorce à l’amiable, il existe trois formes de divorce contentieux, concernées par la réforme, pour lesquelles l’intervention du juge aux affaires familiales est toujours requise. Il s’agit du divorce pour faute, du divorce pour altération définitive du lien conjugal et du divorce accepté.

L’audience de tentative de conciliation est-elle supprimée ?

D. S. : Oui. Il s’agit de la mesure principale apportée par la réforme. Avant le 1er janvier 2021, la procédure de divorce conten­tieux se déroulait en deux phases. Lors de la première phase, le juge tentait de concilier les époux et fixait les mesures provisoires réglant la vie quotidienne de la famille durant la procédure (attribution du logement, garde des enfants, pension alimentaire … ). Puis une deuxième phase s’ensuivait qui se terminait par le jugement de divorce. Avec la réforme, la phase de tentative de conciliation est supprimée, ce qui va permettre d’accélérer l’obtention du jugement de divorce.
Sur le plan procédural, cette modification se traduit par la suppression de la requête unilatérale en divorce faite par l’un des époux. L’instance est introduite soit par une requête conjointe des époux, soit par une assignation à une date d’audience fixée dès le départ, à la demande de l’un des époux. Cette pratique est source de gain de temps.

Comment sont définies les mesures provisoires ?

D. S. : Lors de la première audience devant le juge aux affaires familiales, les mesures provisoires demandées par les époux sont fixées par le magistrat et un calendrier de procédure peut être établi. La présence des époux n’est pas exigée lors de cette audience. En revanche, la représentation de chaque époux par un avocat devient obligatoire dès le début de la procédure. Or la fixation des mesures provisoires se révèle particulièrement importante pour les époux. La garde des enfants sera-t-elle alternée ou non ? Qui va obtenir l’attribution du domicile conjugal ? Qui devra payer une pension alimentaire et quel sera son montant ? Autant de points qui sont tranchés à l’aune des conclusions écrites, mais aussi des réponses apportées par les parties aux questions du juge.
Ces réponses risquent dorénavant de faire défaut, ce que l’on ne peut que regretter. En effet, l’interactivité des débats apporte très souvent une plus-value, en permettant non seulement d’apaiser la situation, mais aussi de prendre une décision plus éclairée et plus actualisée.

 

L’objectif est de permettre d’accélérer l’obtention du jugement de divorce.

Le divorce pour altération du lien conjugal sera-t-il facilité ?

D. S. : Oui. Avant le 1er janvier 2021, les époux pouvaient divorcer lorsqu’ils vivaient séparément depuis au moins deux années. Depuis la réforme, il suffit d’être séparé depuis un an. Ce délai est en prin­cipe apprécié lors de la demande en divorce. Toutefois, si cette demande a été présentée sur un autre motif, alors le délai s’apprécie à la date du prononcé du divorce, ce qui permet d’inclure la durée de la procédure.

Le divorce accepté est-il impacté par la réforme ?

D. S. : Dans ce mode de divorce, les époux sont d’accord sur le divorce, mais pas sur ses effets. De ce fait, les époux peuvent, depuis l’entrée en application de la réforme, matérialiser leur acceptation du principe de la rupture en signant un acte sous signature privée contresigné par leurs avocats respectifs. Ce document ne doit pas avoir été régularisé plus de six mois avant la date de la demande de divorce. L’acte peut être annexé à la requête conjointe en divorce ou communiqué en cours de procédure. Les époux peuvent également toujours signer un procès-verbal d’acceptation de la rupture lors de l’une des audiences devant le juge aux affaires familiales.

Quelles sont les modifications pour les majeurs protégés ?

D. S. : Si une personne est sous curatelle ou tutelle, elle ne pouvait divorcer, avant la réforme, que pour faute ou pour rupture définitive du lien conjugal. Il est maintenant possible, pour elle, de rompre son mariage en optant pour le divorce accepté. De plus, les majeurs protégés peuvent accepter seuls le principe de la rupture du mariage sans passer par une autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille. En revanche, les majeurs protégés ne peuvent toujours pas divorcer par consentement mutuel.

La séparation de corps est-elle concernée par la réforme ?

D. S. : Oui. La réforme législative aligne la procédure de séparation de corps sur celle du divorce. Ainsi, les époux pourront maintenant opter pour la procédure de séparation de corps par consentement mutuel sans passer devant le juge aux affaires familiales. Dans ce cas, les époux sont d’accord sur le principe du divorce, mais aussi sur ses effets. Une convention est alors signée par les époux et leurs avocats respectifs, puis déposée chez un notaire pour rendre la décision opposable aux tiers. En pratique, la procédure de séparation de corps est aujourd’hui peu usitée.

La durée de la procédure de divorce contentieuse sera-t-elle réellement réduite ?

D. S. : Très certainement dans de nombreux cas. Toutefois, lorsque le contentieux entre les époux demeure important, ils risquent de s’échanger, durant les audiences de mise en état successives, des conclusions et des pièces comme c’est le cas actuellement dans certains dossiers. Or, la réforme n’intervient pas sur ce point pour limiter les échanges dans le temps. Il en est de même pour les opérations de partage des biens des époux qui peuvent s’avérer conflictuelles et complexes lorsque le patrimoine est important.

Propos recueillis par Thierry Deschanels