Le démembrement de propriété est très souvent pratiqué dans le cadre de montages successoraux. Il permet de donner la nue-propriété d’un bien tout en se réservant l’usufruit, c’est-à-dire, pour un immeuble, le droit de l’occuper (usus) et d’en percevoir des revenus (lefructus). Au décès du donateur, l’usufruit s’éteint, ce qui reconstitue la pleine propriété sur la tête du donataire. Il est également possible de réaliser cette transmission dans le sens inverse. Le donateur reste nu-propriétaire et transmet, pour une durée fixe, son droit d’usufruit. Le donateur recouvre la pleine propriété au terme de l’usufruit, déterminé dans l’acte de donation. Généralement utilisé entre parents et enfants pour aider ces derniers à gagner en indépendance financière, ce montage se rencontre aussi dans l’univers philanthro pique au profit d’organismes sans but lucratif. Au-delà de l’intérêt moral, donateurs philanthropes et organismes donataires y trouvent chacun de nombreux avantages, notamment fiscaux.
Les organismes bénéficiaires
La donation doit être réalisée au profit d’un organisme d’intérêt général ayant la capacité de recevoir des donations et qui relève des catégories suivantes (BOI-PAT-IFI 20-20- 30-10): les fondations ou associations reconnues d’utilité publique; les associations cultuelles ou de bienfaisance autorisées à recevoir des dons et legs ou établissements publics des cultes reconnus d’Alsace-Moselle; les établissements d’enseignement supérieur ou artistique à but non lucratif agréés. Il s’agit d’organismes d’intérêt général habilités à recevoir des donations. Il est rappelé que l’intérêt général se caractérise par l’exercice d’une activité non lucrative, le caractère désintéressé de la gestion et l’absence de fonctionnement au profit d’un cercle restreint de personnes.
Les conditions à respecter
Pour être valable, la donation temporaire d’usufruit doit nécessairement être consentie par acte notarié. Un don manuel n’est pas adapté à ce type de transmission. L’acte de donation permettra de sécuriser l’opération à l’égard de l’administration fiscale en définissant les tenants et aboutissants du montage. La durée de l’usufruit doit être de trois ans minimum. Lorsqu’au-delà d’une première période de trois ans ou plus la donation temporaire est renouvelée, celle-ci peut concerner une période plus courte. En général, ces opérations sont réalisées sur des périodes plus longues, de cinq à dix ans.
Les actifs transmis doivent contribuer à la réalisation de l’objet social de l’organisme bénéficiaire. Ces actifs doivent générer des fruits ou bien être mis à la disposition de l’organisme sans but lucratif. Il peut s’agir d’une contribution financière ou matérielle (mise à disposition de locaux d’habitation au profit d’une association d’aide au logement par exemple).
La donation doit préserver les droits de l’usufruitier. Les biens concernés ne doivent pas faire l’objet d’une réserve générale d’administration par le donateur nu-propriétaire. L’organisme sans but lucratif peut, pour des raisons pratiques, ne pas exercer toutes les prérogatives liées à son usufruit et déléguer certains pouvoirs au nu-propriétaire. Par exemple, la participation aux assemblées générales des actionnaires, la signature d’un bail. Le mandataire nu-propriétaire est alors tenu de rendre compte annuellement à l’organisme sans but lucratif.
En tout état de cause, les fruits doivent revenir à l’usufruitier dans leur intégralité. Aucune disposition ne doit venir fixer un montant minimal de revenus à percevoir par l’usufruitier ou prévoir la possibilité d’un prélèvement du nu-propriétaire sur les fruits.
Une convention de démembrement
Il est très fortement recommandé de procéder à la signature d’une convention de démembrement de propriété entre les parties, leur permettant de répartir les prérogatives respectives de chacun. En effet, la relation entre un usufruitier et un nu-propriétaire peut aboutir, dans le temps, à un conflit d’intérêts: le nu-propriétaire va généralement chercher à assurer le maintien du capital investi, voire à générer une plus-value alors que l’usufruitier sera plus souvent protecteur du rendement du bien. Cela peut être le cas si l’usufruit porte sur un portefeuille de valeurs mobilières. Lorsqu’une transmission porte sur un bien immobilier, la convention permet de prévoir en amont la répartition de travaux, la participation, la représentation et le droit de vote aux assemblées générales de copropriété ou encore le renouvellement d’un bail.
La convention peut également encadrer l’opportunité pour le nu-propriétaire de céder son droit à titre gratuit ou à titre onéreux, par exemple de prévoir une interdiction d’aliéner afin que l’organisme sans but lucratif s’assure une relation exclusive avec le philanthrope originel. Toutes ces indications sont nécessaires à la bonne réalisation du montage et surtout à la sécurisation de l’opération vis-à-vis de l’administration fiscale.
Les avantages pour l’organisme
La donation d’usufruit temporaire peut porter sur des biens de nature juridique très différente. Elle peut concerner des biens immobiliers détenus en direct ou par l’intermédiaire de sociétés civiles, des parts de SCPI ou encore des portefeuilles de valeurs mobilières. Pour l’organisme sans but lucratif, le montage est justifié car il repose sur la jouissance d’un bien immobilier ou de ses revenus fonciers. L’organisme aura également vocation à recevoir les dividendes ou les intérêts des valeurs mobilières. La durée fixe de l’usufruit, d’au minimum trois ans, apporte une grande souplesse de gestion. En effet, au lieu de recevoir un don financier ponctuel comme un legs ou un capital d’assurance-vie, l’organisme est certain de jouir du bien ou d’en toucher un revenu pendant une période déterminée. Il peut ainsi inscrire la donation dans ses prévisions budgétaires et améliorer le financement de ses actions. Fiscalement, la donation temporaire d’usufruit ne procure aucun avantage à l’organisme sans but lucratif. Généralement, ces organismes bénéficient d’une exonération de droits de mutation à titre gratuit sur les donations et legs reçus. Ils sont aussi bénéficiaires de régimes fiscaux avantageux sur les revenus qu’ils tirent de leur patrimoine (exonération totale ou minorée, art 206, 5 CGI).
Dans certains cas, les conditions d’exonération de droits de donation ne sont pas réunies, mais, l’organisme étant tout de même reconnu d’utilité publique, il est alors redevable d’une taxation minorée relevant du barème des collatéraux privilégiés (35 à 45 %). Dans les autres cas, le taux maximal de 60 % peut s’appliquer. L’assiette de taxation porte sur une fraction de la valeur de la pleine propriété relevant de l’article 669 du CGI. L’usufruit temporaire est estimé à 23 % par période de dix ans. Par exemple, si un donateur transmet l’usufruit d’un immeuble pour quinze ans à une association non exonérée, celle-ci sera redevable d’un impôt sur une assiette de 46 % de la valeur totale du bien.
Les avantages pour le donateur
Le caractère temporaire de la donation est un véritable avantage pour le donateur qui ne se démunit pas définitivement. Au terme de l’usufruit, il recouvre la pleine propriété de son bien et peut choisir de renouveler l’opération au profit du même organisme ou d’un autre, de le conserver selon ses besoins, voire de le transmettre à ses descendants. Si le bien procure des revenus dont le donateur n’a pas besoin, cette donation présente aussi l’avantage d’alléger son imposition. En effet, durant toute la période concernée par la donation, celui-ci ne perçoit plus les revenus générés par le bien et est donc exonéré d’impôt sur le revenu.
Attention toutefois, le donateur d’un usufruit temporaire ne peut pas bénéficier de la réduction d’impôt sur le revenu de 66 % du montant du don relevant de l’article 200 du CGI. Enfin, un donateur soumis à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) voit son imposition allégée lorsqu’il transmet l’usufruit temporaire d’un bien immobilier à un organisme sans but lucratif car seul l’usufruitier en est redevable. Or les organismes sans but lucratif, personnes morales, ne sont pas soumis à cet impôt. Tant que le donateur reste nu-propriétaire du bien, ce dernier est exclu de son patrimoine soumis à l’IFI. Autant d’avantages fiscaux qui incitent l’administration fiscale à suivre de près ces montages créés par la pratique et à les encadrer. Si le philanthrope respecte scrupuleusement les règles rappelées ci-avant, il se prémunit d’une contestation fiscale au titre de l’abus de droit prévu par l’article L 64 du Livre des procédures fiscales.
UNION NOTARIALE FINANCIÈRE