« Les héritiers sont responsables vis-à-vis de l’administration fiscale »

Au lendemain d’un décès et malgré la douleur, il faut établir la déclaration de succession et s’enquérir des droits à payer. Malgré les abattements fiscaux qui viennent réduire les droits de succession, de nombreux frais sont à prévoir. Entretien avec Jean-Pierre Kaplan, notaire.

22 avril 2024

Le délai de six mois pour déposer la déclaration de succession apparaît-il trop court pour les héritiers ?

Oui, ils sont souvent très anxieux à l’idée de dépasser ce délai, d’autant qu’ils ne consultent pas leur notaire immédiatement après le décès. Parfois, il s’est déjà écoulé deux mois, ils n’ont alors plus que quatre mois pour agir. Or ils doivent impérativement avoir en tête que le délai de six mois pour déposer la déclaration de succession auprès de l’administration fiscale, accompagnée du règlement des droits de succession, commence à courir à compter du décès. Si cet impératif n’est pas respecté, ils devront acquitter des intérêts de retard, voire des pénalités.

Quelles majorations sont à craindre?

À partir du premier jour du septième mois suivant le décès, il sera appliqué automatiquement un intérêt de retard au taux mensuel de 0,20 % sur toutes les sommes dues. Passé le douzième mois après le décès, une pénalité de 10 % s’ajoutera. Enfin, si les héritiers reçoivent une mise en demeure par lettre recommandée et que la situation n’est pas régularisée dans le délai imposé par l’administration fiscale, la majoration peut atteindre 40 % de la totalité des droits de succession (acomptes versés ou non). Il est possible d’effectuer une demande de remise gracieuse. En argumentant, elle peut être acceptée pour tout ou partie de la majoration. En revanche, il est rare de l’obtenir pour les intérêts de retard.

Comment faire si les héritiers doivent au préalable vendre des biens immobiliers ?

Ils doivent agir vite et mettre en vente le bien rapidement. Généralement, nous attendons au moins la signature de l’avant-contrat pour indiquer le montant de la vente, et donc la valeur du bien dans la déclaration de succession. En cas de doute sur cette valeur et s’il n’est pas envisagé de vendre dans l’immédiat, il est permis de déposer une déclaration principale avec une estimation basée sur des avis de valeur d’agences immobilières par exemple, accompagnée du paiement de l’impôt. Par la suite, mais uniquement à bref délai, les héritiers peuvent déposer une déclaration rectificative accompagnée du complément de l’impôt à payer si le premier versement était insuffisant. Il faut bien garder à l’esprit que les biens immobiliers sont évalués par les héritiers d’après leur valeur vénale, c’est-à-dire le prix auquel le bien aurait été vendu à la date du décès. Et, même si le notaire se charge de remplir la déclaration de succession, il agit en tant que mandataire, les héritiers restent toujours responsables vis-à-vis de l’administration fiscale. Il est financièrement très risqué de sous-évaluer un bien : les héritiers s’exposent à un redressement fiscal, au paiement d’intérêts de retard, de majorations et, en cas de revente ultérieure du bien, ce sera la valeur sous-évaluée indiquée dans la déclaration de succession qui sera retenue pour le calcul de la plus-value immobilière (sauf redressement).

Comment faire si les héritiers n’ont pas les fonds nécessaires pour payer ?

Exceptionnellement, et sous conditions, le paiement peut être différé ou fractionné, c’est-à-dire payé à crédit. La demande doit être formulée par écrit lors du dépôt de la déclaration de succession. Attention, dans la mesure où les héritiers sont solidaires pour le paiement des droits, ceux qui souhaitent payer à crédit ne peuvent le faire qu’avec l’accord de ceux qui payent comptant. Pour les demandes déposées en 2023, le taux d’intérêt appliqué pendant toute la durée du crédit est fixé à 1,7 %.

Quelle est la différence entre le paiement fractionné et le paiement différé?

Le paiement fractionné consiste à payer les droits en plusieurs versements égaux étalés dans le temps, sur une période maximale d’un an. Le premier versement doit être effectué en même temps que le dépôt de la déclaration de succession; les deux suivants doivent être effectués à intervalles réguliers, l’intervalle entre deux versements ne devant pas dépasser six mois. Le délai d’un an peut être porté à trois ans lorsque l’actif de la succession comprend au moins la moitié de biens non liquides tels que des immeubles, parts de société de personnes… Il est alors possible de faire sept versements.

Le paiement différé concerne les héritiers qui reçoivent des biens en nue-propriété, ce qui arrive fréquemment lorsque le conjoint survivant hérite de tout ou partie de la succession en usufruit.

Le paiement des droits dus est reporté jusqu’à l’expiration d’un délai de six mois à compter de la réunion de l’usufruit et de la nue-propriété, c’est- à-dire au décès de l’usufruitier, ou de la cession des biens reçus en nue- propriété. Pour le paiement des intérêts, deux possibilités sont offertes : soit un paiement d’intérêt tous les ans, soit un différé sans intérêt, mais les droits de succession sont alors calculés sur la pleine propriété des biens. Le choix entre ces deux options n’est pas facile. Il est évident que, lorsque l’usufruitier est jeune, payer un intérêt peut s’avérer fort coûteux.

En plus des droits de succession, quels autres frais sont à prévoir?

Les héritiers doivent acquitter des émoluments au notaire pour son travail, d’autres taxes sont aussi à verser à l’administration fiscale. Prenons l’exemple de deux frères qui héritent à parts égales de leur mère dont la succession se compose d’un bien immobilier d’une valeur de 400 000 €. Le montant de leur part s’élève à 200 000 €. Après application de l’abattement personnel de 100 000 € (sauf donation dans les quinze ans), ils auront à régler 18 194 € chacun de droits de succession, soit au total 36 388 €. À cela s’ajoutent les émoluments du notaire, calculés sur l’actif brut total pour établir la déclaration de succession, soit 2 242 € TTC, dont 1 868 € HT d’émoluments à verser au notaire et 374 € de TVA. Il faut également ajouter les émoluments perçus par le notaire au titre de l’attestation de propriété. Cet acte constate la transmission des biens immobiliers du défunt aux héritiers et doit être publié au fichier immobilier, c’est le titre de propriété des héritiers. Le tarif est fonction de la valeur des biens. Comptez au total 3 800 € TTC de frais dont 2 675 € HT d’émoluments à verser au notaire, 535 € de TVA, le reste étant constitué de frais revenant au Trésor public.

Les héritiers sont-ils surpris par l’ampleur de ces frais?

Oui, totalement. La mauvaise surprise est toutefois totale quand nous leur présentons le droit de partage. Car il faut bien comprendre qu’une fois les droits de succession acquittés, la déclaration de succession et l’attestation de propriété réalisées, les héritiers sont tous détenteurs d’une quote-part indivise de la succession. Concrètement, ils possèdent ensemble la totalité des biens. S’ils souhaitent se partager les biens et donc devenir seul propriétaire de chaque bien, ils doivent procéder à un partage, et cela a un coût. Si nous reprenons l’exemple ci-dessus et que nous imaginons que l’un des deux héritiers devient seul propriétaire du bien immobilier en versant une soulte de 200 000 € à son frère, il devra régler 16 500 € TTC dont 10000 € de droit de partage, 4 863 € HT d’émoluments au notaire, 973 € de TVA  le reste étant constitué de débours.

PROPOS RECUEILLIS PAR ROSINE MAIOLO