« Nous pouvons encore agir pour sauver la planète, il n’est pas trop tard ! »

À l’heure où les conséquences du changement climatique ne cessent d’alarmer, Maud Fontenoy s’est engagée pour la sauvegarde des océans. La navigatrice aux multiples exploits mène son combat depuis plus de vingt ans : informer et sensibiliser le plus grand nombre à la protection de la planète. Rencontre avec cette jeune passionnée des mers.

5 janvier 2023

Comment est née votre passion pour l’environnement marin ?

Maud Fontenoy : J’y ai été immergée dès ma naissance. Mon père était un passionné de navigation, il a construit lui-même son deux-mâts de 17 mètres. Son rêve était de balader toute sa famille à travers les océans, et il y est parvenu. Ma mère, qui était très amoureuse, l’a suivi. Mais durant les quinze années passées en mer, j’ai dû la voir se baigner une seule fois…

Nous suivions l’école par correspondance avec mes deux frères et vivions de pas grand-chose : la pêche de mon père et les fruits et légumes locaux. Notre paradis était là, et nous n’avions qu’une peur: celle de rentrer un jour et de découvrir l’école, les voitures, le froid de l’hiver… Cela nous était étranger.

Pourquoi avoir repris le large une fois devenue adulte ?

Maud Fontenoy : De toute ma fratrie, j’étais la moins prédestinée à le faire: j’étais celle qui avait le mal de mer et qui était peu à l’aise ! Ma mère disait toujours avec plaisir que si parmi ses enfants, l’un d’eux devait retourner en mer, ce ne serait pas moi. Mais finalement, ma personnalité s’y prêtait bien. J’avais un combat à mener, un message à faire passer, un amour de la mer et l’envie d’un dépassement de soi. Je voulais réaliser des premières féminines et montrer que c’était possible.

Comment expliquez-vous que l’océan soit si méconnu du grand public ?

Maud Fontenoy : C’est très surprenant. Notre fragile Terre est avant tout une planète bleue, recouverte aux trois quarts d’eau de mer. Le fait est que nous devrions être appelés les Merriens, plutôt que les Terriens.

Le grand bleu représente le berceau de l’humanité, car la première particule de vie est née dans ses profondeurs il y a quatre milliards d’années. Mais le grand drame, c’est que nous avons oublié nos océans, nous y avons jeté et y jetons encore inlassablement nos déchets. Dix millions de tonnes chaque année, qui reviennent en boomerang dans nos assiettes… Aujourd’hui encore, on investit cent fois plus d’argent dans le spatial que dans les recherches sous-marines. On connaît mieux la surface de la Lune que la profondeur de l’océan. Pour moi, cela aurait eu plus de sens de conquérir les océans, mais peut-être que les étoiles font plus rêver !

La mer impressionne. Comment apprendre à l’apprivoiser ?

Maud Fontenoy : C’est le travail de ma fondation depuis vingt ans: faire le lien entre la mer et l’homme. Faire connaître ses richesses à travers mes livres, mes documentaires. Aller au contact des enfants dans les écoles.

Nous relançons cette année les classes de mer à destination des zones d’éducation prioritaire. Il y a trois millions d’enfants en France qui ne connaissent pas la mer. C’est indispensable d’y remédier. C’est en la faisant connaître et aimer que l’on peut inciter chacun à la respecter et à la protéger.

Qu’est-ce qui surprend le plus les enfants ?

Maud Fontenoy : Plus personne ne m’interroge sur l’origine du plastique qui se retrouve dans l’estomac des poissons ou des oiseaux marins. Je suis noyée sous les questions pertinentes relatives l’acidification des océans, l’essor des énergies bleues, la richesse de la biodiversité marine, les médicaments qui en sont issus…

La mer fascine, les yeux brillent quand on parle de requins, de baleines, de poissons volants. J’adore partager avec eux des histoires bio inspirantes : le cône magicien, un petit escargot marin venimeux qui est à l’origine du ziconotide – un antidouleur mille fois plus puissant que la morphine; le hareng, auquel on doit la trithérapie utilisée pour lutter contre le sida; le cœur de la baleine, qui inspire les pacemakers de demain; la peau de requin, qui empêche l’adhérence des bactéries et pourrait être à l’origine d’un revêtement protégeant les patients des maladies nosocomiales à l’hôpital… Aujourd’hui, seulement 10 % des espèces marines auraient été découvertes, le potentiel de recherche est aussi vaste que notre imagination !

Éduquer plutôt que culpabiliser, c’est votre credo pour plus d’efficacité ?

Maud Fontenoy : Face à l’insupportable et à la culpabilité, les gens ont tendance à re- jeter l’horreur et à reculer, paralysés par le gigantisme du défi à relever. Il faut expliquer les enjeux, donner des raisons d’y croire et l’envie d’agir.

Les désordres qui touchent notre Grand Bleu sont colossaux, mais ils sont à la hauteur des solutions qui existent. Et coup de rame après coup de rame, on peut réussir à traverser le plus grand des océans. Je suis une éternelle optimiste. Je pars traverser l’océan à la rame parce que je me dis que c’est possible. Bien sûr, quand je revois des images de mes tours du monde où je pleure autant, je me rappelle combien c’est difficile parfois. Mais ma nature me pousse à toujours donner un coup au fond de la piscine et à repartir à l’action.

Nous sommes désormais 8 milliards sur terre, n’est-il pas trop tard pour agir ?

Maud Fontenoy : L’idée qu’il est trop tard n’a pas de sens. Par principe, il n’est jamais trop tard, à part quand on sera dans la boîte, car ce sera fini !

J’ai toujours eu conscience de la fragilité de l’existence et du bref moment que dure notre vie. C’est à chacun de faire du mieux qu’il peut pendant le petit instant de vie qui lui est donné. Il est vrai que nous sommes très nombreux, mais je pense que le changement est déjà en route. On a parfois l’impression que personne n’agit, mais ce n’est pas vrai. Tous les pays du monde sont d’ores et déjà dans le mouvement. Il y a une grande inertie, mais chacun a compris que c’était indispensable pour notre survie et notre avenir économique. Je m’accroche à cela aujourd’hui.

Une multitude d’actions simples et efficaces sont à notre portée. Selon certains scientifiques, l’ensemble de nos gestes quotidiens peut avoir un impact de 20 % sur nos émissions de CO2. Coluche disait : « Quand on pense qu’il suffirait que les gens n’achètent plus pour que ça ne se vende pas! ». C’est vrai ! Si nous arrêtons d’acheter le produit suremballé au supermarché, in fine il ne sera plus proposé. Nous avons la capacité de faire changer les choses. Je crois beaucoup en l’humain et en sa capacité à relever des défis, chacun à sa mesure.

Ne baissez-vous jamais les bras ?

Maud Fontenoy : Absolument jamais ! Je me rassure en agissant. J’ai par ailleurs toujours été engagée. Certains disent que cela rend heureux. Moi, ça fait partie de mon ADN. J’ai besoin d’avoir le sentiment d’être utile, de me dire que j’ai fait ma part.

Et j’aime voir les changements auprès des enfants. Je suis ravie quand je vois les programmes scolaires évoluer et la jeune génération s’impliquer. Le résultat est là. C’est du concret et ça me satisfait. Je suis bénévole au sein de ma fondation, ça me prend 80 % de mon temps mais c’est indispensable. Je ne pourrais pas faire autrement.

De quelle avancée majeure vous réjouissez-vous ?

Maud Fontenoy : Tout le monde s’accorde aujourd’hui sur l’urgence à préserver nos océans. Je suis heureuse que l’attention de l’opinion publique ait évolué.

De même, je me réjouis que le sommet international One Ocean Summit se soit tenu en février dernier à Brest dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Union européenne. L’objectif était de donner une impulsion politique forte à l’agenda européen et international des enjeux maritimes, d’aboutir à des négociations multilatérales pour protéger la biodiversité des océans et développer les ressources marines de manière durable. Quarante et un pays y ont contribué, ce n’est pas rien. Nous n’avons jamais autant parlé des océans, même si ce n’est pas encore suffisant.

Car malheureusement, il y a encore beaucoup à faire. La France est par exemple la deuxième puissance maritime mondiale. Elle aurait un rôle majeur à jouer en termes de préservation de cet espace. Elle pourrait notamment agir pour assurer que 60 % de la haute mer, qui est actuellement sans juridiction, soient encadrés par un traité. Pour l’heure, on peut y faire ce que l’on veut. Chacun à notre niveau, nous devons passer à l’action. Les avancées peuvent venir de l’État, mais aussi et surtout, des individus. J’y crois fort !

PROPOS RECUEILLIS PAR ROSINE MAIOLO