« La gonette finance la transition écologique et solidaire »
Un peu partout en France, les monnaies complémentaire à l’euro se développent. La gonette circule depuis 2015 sur le territoire lyonnais. Décryptage avec la porte-parole de l’association La gonette à l’origine de sa création, Charlotte Bazire.
Comment la gonette fonctionne-t-elle ?
Charlotte Bazire : Elle a cours sur le bassin de vie économique lyonnais tel que le définit l’Insee et ne peut pas sortir de ce territoire. Elle se présente sous la forme de six billets, mais existe aussi en version numérique depuis 2019. Pour l’utiliser, vous devez adhérer à notre association à prix libre. Ensuite, vous transformez vos euros auprès d’une soixantaine de comptoirs de change ou sur le site de la gonette. Une gonette est égale à un euro. Plus de quatre cents commerces, entreprises ou associations l’acceptent. Le réseau est constitué à 30 % de magasins d’alimentation, restaurants et bars, mais une vingtaine de secteurs d’activité sont représentés. Vous pouvez vous servir de la gonette pour vous faire soigner, payer votre facture d’électricité chez Energie d’ici, aller au cinéma, chez le coiffeur, frais d’agence immobilière…
Combien cette monnaie compte-t-elle d’utilisateurs et quel intérêt y trouvent-ils ?
Charlotte Bazire : Nous sommes quelque 1 600 à nous en servir et 465 085 gonettes circulaient en juillet dernier, ce qui en fait la deuxième monnaie locale la plus développée en France, même si l’eusko au Pays basque est loin devant avec ses 3,3 millions d’unités. Concernant son intérêt, une monnaie locale poursuit plusieurs objectifs. Grâce à elle, le consommateur peut repérer, sans avoir à les cher- cher, des professionnels engagés dans une démarche responsable par rapport au changement climatique et aux conditions de vie sur terre. Nos enseignes alimentaires, par exemple, vendent en partie ou entièrement du bio ou du local. Mais l’ambition première est de financer la transition éco- logique et solidaire. Car pour chaque unité en circulation, un euro est placé en banque éthique. Nous travaillons avec le Crédit coopératif qui finance des projets relevant de l’économie sociale et solidaire ainsi qu’avec la Nef. Cette coopérative bancaire double les euros que chaque monnaie locale place chez elle pour les investir dans des projets environnementaux, sociaux et culturels situés sur son territoire.
Beaucoup de vos utilisateurs veulent ainsi soutenir l’économie locale. Ne peuvent-ils le faire avec l’euro?
Charlotte Bazire : Non, parce que l’euro sort très vite du territoire local. Que se passe-t-il quand vous payez vos achats chez le boucher? À son tour, il paye quelqu’un d’autre, qui fait de même ou dépose l’argent en banque. Et l’euro se retrouve dans la sphère spéculative. La gonette, elle, ne peut pas être utilisée hors de ce territoire. Elle est vouée à y circuler sans cesse et c’est ainsi qu’elle doit produire de la richesse : dans une économie réelle, et locale.
Depuis sept ans, le nombre de ses « adeptes » se maintient, mais augmente peu. Comment espérez-vous le booster ?
Charlotte Bazire : Au début, elle a suscité un bel engoue- ment grâce au succès de Demain, le film de Cyril Dion (sorti en 2015) qui évoquait les monnaies locales. 2016 a d’ailleurs été notre meilleure année, avec 1 800 utilisateurs… Aujourd’hui, notre ambition est de massifier son usage. Pour cela, nous souhaitons intégrer davantage de commerces de proximité du type boulangerie, boucherie, fromagerie. Nous misons aussi sur le développement des liens avec les collectivités pour que les services publics soient accessibles au paiement en gonettes, ce qui permettrait de toucher d’autres cibles. Trois d’entre elles – les villes de Lyon, Villeurbanne et la métropole du Grand Lyon – y ont adhéré. Et c’est un vrai levier. Depuis le début de l’année, six musées lyonnais et les archives municipales prennent la gonette. Nous œuvrons à ce qu’en 2023, les bibliothèques municipales fassent de même. Et par la suite, les piscines, les crèches… ou les transports. Nous travaillons également à multiplier les transactions entre les professionnels. Il y a déjà des comptables, des agences de communication, des développeurs qui l’acceptent comme mode de paiement de la part d’autres prestataires.
Avez-vous déjà refusé des adhérents pour incompatibilité avec vos valeurs ?
Charlotte Bazire : Non, mais en 2021, nous avons longue- ment débattu du cas de Veolia Eau du Grand Lyon. Veolia est une multinationale, elle fait de la spéculation financière, elle a des activités à l’étranger qui peuvent poser question, notamment quant à la gestion de l’eau et des populations locales. Chacun de nos adhérents a été invité à se prononcer sur le fait d’accepter ou pas sa filiale lyonnaise. Avant cela, nous avons pu interroger ses salariés dirigeants. Leur requête a finalement été acceptée, mais sous conditions. VEGL ne peut reconvertir ses gonettes en euros par exemple, alors que tous nos autres professionnels y sont autorisés lorsqu’ils n’ont pas d’autres pistes d’utilisation. Comme elle a une délégation de service public avec la métropole de Lyon pour la distribution d’eau jusqu’à fin 2022, nous avions aus- si requis qu’elle travaille à ce que l’on puisse payer sa facture en gonettes. Ce dossier n’a malheureusement pas pu aboutir. Mais VEGL continue ses actions de sensibilisation auprès de ses salariés, dont une cinquantaine touchent une partie de leur rémunération en gonettes.
C’est aussi le cas de certains élus avec leur indemnité…
Charlotte Bazire : En effet. Ceux de nos trois collectivités peuvent, s’ils le souhaitent, la percevoir en partie en gonettes. Une soixantaine ont répondu présent et c’est important, car ils montrent ainsi qu’on peut avoir confiance en elle. Ils sont prescripteurs.
Pourquoi avoir créé un billet de 49 gonettes et pas 50 ?
Charlotte Bazire : Pour susciter ce genre de question ! Cette coupure est faite pour être utilisée, mais sert aussi à interpeller, à montrer que des citoyens peuvent créer une monnaie et décider de sa valeur. Tous nos adhérents ont eu leur mot à dire sur cette coupure. Au départ, nous pensions, d’ailleurs, à un montant de 69 gonettes, mais il semblait trop élevé à nos commerçants.
A-t-elle également pour objet de susciter une expérience très concrète de démocratie participative ?
Charlotte Bazire : Absolument. Notre association, qui s’appuie sur cinq salariés et une vingtaine de bénévoles, repose sur un fonctionnement démocratique. Toutes les parties prenantes – particuliers, entreprises, collectivités, fondateurs, membres actifs – ont leur mot à dire sur sa gestion. Chaque année, leur collège se réunit pour décider des grands axes de développement. Je vous renvoie, par ailleurs, au rapport du mouvement SOL sur l’utilité sociale des monnaies locales (voir encadré ci-contre). Il met en lumière le fait que ceux qui s’en emparent comprennent mieux comment fonctionne l’économie. En 2021, plus de 5 millions d’eu- ros en monnaies locales circulaient en France. Ce qui représente l’équivalent placé en banque éthique. Ce chiffre peut sembler une broutille comparé à ceux de l’économie française et du PIB. Mais il permet de réaliser que plus nous serons nombreux à nous les approprier, plus nous aurons d’impact sur la transition écologique et sociale. PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANIE GATIGNOL