ENTRETIEN avec Benoit Renaud, président de l’Union notariale financière

« Investissements : c’est dans l’équilibre que se trouve la vérité »
Dans un contexte d’instabilité croissante, Benoit Renaud, directeur général de l’Union notariale financière (Unofi) et ancien président du Conseil supérieur du notariat, nous livre son analyse macroéconomique et les enseignements que l’on peut en tirer pour orienter les investissements des particuliers.

12 janvier 2022

Conseils des notaires : Quel est le rôle de l’Unofi ?

Benoit Renaud : L’Unofi a été créée en 1988 par le Conseil supérieur du notariat. Il s’agit d’une structure financière qui offre les appuis techniques d’une équipe d’experts partageant les valeurs et la culture notariales. L’expert intervient, à la demande du notaire, pour l’assister dans l’analyse patrimoniale des besoins et des attentes de ses clients et, si cela s’avère pertinent, lui proposer la souscription de pro- duits financiers adaptés. Ces interrogations font souvent suite à un héritage, une vente immobilière. Le notaire explore les dimensions civiles et fiscales avec l’appui des équipes d’Unofi pour délivrer une information complète et informer des risques liés au choix des placements envisagés. Le conseil du notaire est pertinent, indépendant et transparent.

Face à l’inflation, aux risques de pénurie énergétique et à la guerre qui menace l’Europe, est-il encore possible d’effectuer des prévisions sur ses investissements ?

Benoit Renaud : Les prévisions deviennent de plus en plus difficiles car, depuis presque trois ans, nous sommes confrontés à des paramètres extrêmement volatils. Nous disposons toutefois de points de repère solides, tels que la trajectoire à la hausse des taux d’intérêt, qui se confirme au fil des mois, et l’inflation qui devrait ralentir en 2023. C’est pourquoi, même si le coût de la vie se stabilise, il n’y aura pas de retour en arrière et les prix resteront élevés. Face à cette situation, les entreprises doivent faire face à trois défis majeurs : la hausse des coûts de production directement liée à ceux de l’énergie, les pressions salariales liées au pouvoir d’achat et les enjeux environnementaux et climatiques. Malgré ces difficultés, elles affichent encore de bons résultats dans tous les pays européens. Beau- coup ne connaissent pas de récession. Les prévisions des chefs d’entreprise restent légèrement optimistes. Cette tendance prouve que les économies résistent bien.

Ce discours positif est-il compatible avec le ressenti des particuliers ?

Benoit Renaud : Les ménages qui ont des difficultés quotidiennes pour boucler leurs fins de mois ne peuvent se satisfaire d’une analyse macro- économique rassurante. Le coût de la vie ainsi que la pression environnementale modifient naturellement les dépenses. Par exemple, le covoiturage et le vélo se développent, et la façon d’aborder les vacances a changé. Dans ce contexte, il est délicat d’expliquer au retraité, inquiet de voir son pouvoir d’achat diminuer, qu’on ne peut pas à la fois garantir une bonne rentabilité de ses placements et préserver son capital en vue de le transmettre en partie à ses enfants. En réalité, c’est dans l’équilibre que se trouve la vérité. Un risque faible en- traîne un gain faible. Chacun dispose de son propre point d’équilibre et détermine sa sensibilité au risque, selon son âge, ses projets, sa situation familiale et patrimoniale.

Dans un tel contexte, comment les ménages peuvent-ils sécuriser leur patrimoine?

Benoit Renaud : Aucune sécurité ne peut être garantie et ce, quel que soit le type d’investissement, car on ne maîtrise pas tous les paramètres. Serons-nous en proie à de nouvelles vagues épidémiques? Quels seront les impacts sur nos économies des mouvements migratoires qui résulteront des tensions climatiques, politiques et économiques? Tous les pays connaîtront-ils un cycle vertueux? Qu’en sera-t-il de l’approvisionnement en matières premières, notamment alimentaires, alors que le « grenier de l’Europe » est au cœur de la guerre? Voilà des questions bien délicates… Pourtant, des solutions d’investissement restent possibles, comme l’épargne réglementée (Livret A, etc.).

Dans ces conditions, faut-il privilégier les investissements à court terme ?

Benoit Renaud : Depuis le début des années 2000, les « crises » se succèdent à une vitesse inédite: bulle Internet, subprimes, retournement du marché immobilier, sans oublier les crises sanitaires et de la dette des États. Jusqu’ici, plus on investissait à long terme, plus les perspectives de rentabilité étaient élevées. Aujourd’hui, l’analyse ne peut plus s’effectuer sous cet angle. Il est possible de privilégier le court terme, dont les courbes de rendement viennent pour la première fois de dépasser le long terme. Mais cela suppose d’être très réactif et de procéder à des arbitrages réguliers. La contre- partie est qu’il faut assumer des frais supplémentaires : coût d’entrée ou de sortie des différents produits, auxquels peuvent s’ajouter les frais des experts sollicités. Le choix du court ou du long terme dépend aussi du pro- fil de l’investisseur, de la composition des placements envisagés et du temps que l’on souhaite consacrer à cette gestion.

Comment trouver un juste équilibre entre immobilier et placements financiers ?

Benoit Renaud : Il me semble que le préalable est de réaliser un bilan patrimonial avec son notaire accompagné d’un spécialiste financier pour déterminer l’allocation d’actifs la plus équilibrée.

Cela permettra de préciser l’horizon de placement, mais aussi la sensibilité au risque de l’investisseur. Prenons l’exemple d’un parti- culier qui investit en partie dans une assurance-vie et en partie dans l’immobilier. L’assurance-vie générera peu de frais au départ et permettra une diversification dans les pro- duits adossés entre actions et obligations. Le particulier devra suivre les évolutions des cours et arbitrer le cas échéant en fonction de la volatilité des placements. Côté immobilier locatif, il y a d’importants frais à l’entrée. Un délai d’au moins deux ans est nécessaire pour absorber cette charge par les revenus bruts d’un tel investissement.

De façon générale, l’immobilier offre des perspectives mieux maîtrisées car, contrairement à la fluctuation des marchés financiers, on connaît la valeur des loyers et la durée des baux. Toutefois, ce type d’investissement connaît aussi des points faibles : par exemple, le risque de départ anticipé ou d’insolvabilité du locataire, une fiscalité exorbitante avec la CSG/CRDS sur les revenus fonciers auxquels s’ajoute l’impôt sur les revenus. Cette fiscalité est déséquilibrée face à une flat tax qui limite l’impôt sur les produits financiers à 30 %.

L’immobilier serait-il en passe de perdre son statut de « valeur refuge » ?

Benoit Renaud : Face à ce constat, qui peut paraître pessimiste concernant l’immobilier et notamment sa fiscalité, on pourrait le penser. Je crois cependant que le nombre de transactions ne devrait pas baisser dans la mesure où les besoins en logements et en bureaux demeurent toujours forts. Le marché immobilier sort de cinq an- nées hors normes durant lesquelles le nombre de transactions n’a cessé de croître et les prix d’augmenter. Cela a engendré la vente de tous types de biens, y compris ceux qui, sur un marché « normal », auraient peiné à trouver preneur. Aujourd’hui, nous nous dirigeons vers un marché plus raisonnable avec des délais de vente moins rapides et le retour du juste prix, sauf dans les communes où la de- mande demeure largement supérieure à l’offre.

Alors, certes, avec des taux obligataires souverains ou d’entreprises bien notées qui flirtent avec les 3 %, l’investissement dans la pierre peut paraître moins attractif. De plus, la remontée des taux de crédit bancaire empêche l’« effet de levier » qui consiste, pour l’investisseur, à caler son emprunt sur le montant du loyer. Néanmoins, l’immobilier conserve sa dimension de « valeur refuge » sur le long terme.

PROPOS RECUEILLIS PAR BARBARA BÉNICHOU